Cette pipe en terre à l'effigie de Philippe Pétain, ou plutôt de ce qu'il en reste... comme nous allons le voir, est l'oeuvre de Marcel, André Bouraine (1886 - 1948), l'une des très grandes figures du mouvement Art Déco en France. Il est à ce titre l'un des sculpteurs les plus collectionnés de cette période.

Né en 1886 à Pontoise (Seine-et-Oise), il fut l'élève de Jean, Alexandre, Joseph Falguière qui réintroduisit et développa le réalisme dans la sculpture du XIXème siècle.

Mobilisé durant la Première Guerre mondiale, Bouraine fut capturé puis semble t-il échangé et interné en Suisse où il collabora à la réalisation de plusieurs monuments.

Il exposa au début des années 20 dans de prestigieux salons (le Salon de la Société des Artistes Français, le Salon des Artistes Indépendants, le Salon des Tuileries et le Salon d'Automne).

"Pipe mutilée" à l'effigie
du Maréchal Philippe Pétain
(6.5 cm de haut)

Biot, France, 1941
Création du sculpteur
Marcel Bouraine

Oreilles, nez, lèvres, moustaches
et menton ont été éliminés par
abrasion, transformant le visage
du Maréchal en simple foyer lisse !

Très actif de 1920 à 1935, Bouraine excellait dans la sculpture de nus féminins, d'amazones athlétiques, la plupart du temps coulées en bronze patiné marron, parfois rehaussé de vert ou de touches cuivrées.

Il associait également l'ivoire au bronze, sculptait sur marbre ou modelait sur terra cotta. Clowns, arlequins et pierrots constituaient également ses principales sources d'inspiration.

Durant la Seconde Guerre mondiale, son activité se réduisant, Bouraine qui était installé à Biot dans les Alpes-Maritimes, réalisa des portraits de militaires français sous forme de têtes de pipe en terre. Il les commercialisa ou les fit commercialiser sous la marque "OPTIM". Nous connaissons trois de ces personnages au visage souriant, signés de ses initiales "MB" : un tirailleur sénégalais, un chasseur alpin et un marin.

Aujourd'hui très recherchées, car apparemment peu fabriquées, ces pipes auraient été "vendues au profit des soldats durant la guerre".

Nous avons relevé cette mention sur une note manuscrite de la main du Colonel Joseph Pouliquen (grande figure de l'aviation, créateur du groupe de chasse Normandie-Niemen) qui accompagnait un lot de ces modèles vendus à Drouot en 2003 et provenant de sa collection, (aujourd'hui en possession du collectionneur P. S.).

Timbre de 1 F 50 brun, type Pétain,
timbre d'usage courant le plus utilisé
durant la Seconde Guerre mondiale

Marcel Bouraine créa également en 1941 cette tête de pipe à l'effigie du Maréchal Pétain (1856 - 1951), peu courante, sans toutefois être d'une grande rareté. Cette création porte également la marque "OPTIM" ainsi que sa signature en creux sous la douille.

A tort ou à raison, les collectionneurs de pipes en terre se plaisent à souligner que cette représentation du "Chef de l'Etat Français" fut à l'origine de la cessation d'activité de notre artiste à la Libération...

La marque "OPTIM" sur le côté
gauche de la douille ; le profil du
"Héros de Verdun" désormais invisible !

La signature de Marcel Bouraine,
estampée à la base de la douille de pipe

Tombé en disgrâce à partir de l'été 1944, la Haute Cour condamna en effet Philippe Pétain en avril 1945 à la peine de mort, à l'indignité nationale et à la confiscation de ses biens.

Commuée du fait de son grand âge, à la détention perpétuelle, Pétain fut emprisonné à l'Ile d'Yeu où il mourut en 1951 après une captivité de six ans. Marcel Bouraine décéda quant à lui en 1948.

Le moins que l'on puisse dire c'est que le propriétaire de cette "pipe d'artiste", ou celui qui en a hérité, a consciencieusement et délibérément tenté de faire disparaître le visage de celui qui représentait durant la guerre l'archétype du " beau vieillard ". Oreilles, nez, lèvres, moustaches et menton ont été éliminés par abrasion, transformant le visage du Maréchal en simple foyer lisse, laissant les seules parties en creux du visage visibles (commissures des lèvres et des moustaches, yeux et ailes du nez) !

Pied de nez à l'histoire et ironie du sort pour celui qui instaura dès l'été 1940 son culte de la personnalité encore appelé "maréchalisme" (chanson "Maréchal, nous voilà !", films, gadgets, etc), reçevant les pleins pouvoirs de l'Assemblée Nationale et le titre de "Chef de l'Etat Français". Pétain ira jusqu'à contrôler lui-même la qualité de reproduction du bleu de ses yeux dans les portraits officiels que ses services imposaient à la presse...

Par ce tour de passe-passe "mécanique", au résultat assez contestable (mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse...), le fumeur pouvait quand à lui continuer à savourer sa pipe, très appréciée semble-t-il vu son état d'altération, échappant aux regards sans doute désapprobateurs de ses contemporains de l'après-guerre !

Sources :